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Rencontre franco-russe : Dialogue avec Pierre Bourel – L'!NSENSÉ
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Rencontre franco-russe : Dialogue avec Pierre Bourel



RENCONTRE FRANCO-RUSSE avec Pierre Bourel en Avignon pour sa création Ivan Karamazov : adaptation, jeu et mise en scène d’un chapitre des Frères Karamazov de Dostoïevski.


Le spectacle : « Est-ce que j’ai rêvé ? »

—  Tu peux me raconter l’histoire des frères Karamazov ? En quelques mots.

— En quelques mots ?! L’histoire des frères Karamazov. Trois frères ont un père qui a eu trois « mamans » différentes. Et le père se fait tuer. L’intrigue de l’histoire c’est « qui a tué le père ?»

—  Et toi le chapitre que tu as choisi ?

— C’est un des frères, Ivan, le frère le plus vieux, il a 24 ans, c’est le plus athée, le plus intelligent, le moins tordu sur la religion.

—  Est-ce que ça à voir avec l’intrigue « qui a tué le père ? »

— Oui c’est ça, juste avant il ne sait pas qui a tué le père et il l’apprend un chapitre après le mien. Mais ça le préoccupe et il a des fièvres.
Ma question c’est la fièvre d’Ivan. Tout le chapitre, c’est sur sa fièvre et sur sa maladie mais ça n’a pas de rapport avec le texte avant et après.
La question c’est surtout comment un homme de 24 ans peut être tirer entre la foi et la non foi.

—  C’est ce qui t’a intéressé dans l’histoire ?

— En fait c’est surtout « être double », jouer deux personnages. Tout en sachant que dans l’histoire, l’apparition du diable n’est pas claire.
C’est le cauchemar d’un homme. Et il ya un deuxième « homme » qui arrive dans sa tête : le diable.
Le premier homme, c’est Ivan, celui qui est là au début et à la fin. A la fin il se dit « est-ce que j’ai rêvé ? »

—  Ta proposition, c’est d’interpréter le rôle d’Ivan ?

— Non, c’est de voir comment une personne peut se faire attraper par une autre personne. Comment il peut se faire envoûter.
Et comment deux personnalités peuvent ressortir sur un plateau avec un même corps. Tout en essayant de changer de corps. Pour moi, c’est surtout un exercice d’acteur.
L’acteur : « Construire un personnage »

—  Tu parles d’exercice d’acteur, quelle consigne tu t’étais donné ?

— Mon livre, que je n’ai pas assez lu quand j’ai fait mes études en France, c’est La formation de l’acteur de Stanislavski. Et j’essaie de passer par ça.
Par exemple, pour écrire un personnage, j’écris d’abord sa biographie : ce qu’il a vécu, par où il est passé, le nom de son père, le nom de sa mère, son plat préféré, des détails qui peuvent paraître inutiles mais moi, ça m’aide.
Pareil pour le diable et pour Ivan. Le diable est passé par tel pays, il vient de telle planète… Après je construis un corps, pour chacun des deux personnages. Ensuite, je construis une évolution de ces deux personnages dans un temps donné.
Dostoïevski, homme de théâtre : « Ce texte là il ne l’a jamais écrit, il l’a dit »

—  Et ton choix de jouer un texte littéraire ?

— Je ne le vois pas comme un texte littéraire, je le vois comme un texte théâtral. Parce qu’en Russie, j’ai beaucoup travaillé sur des textes qu’on dit « littéraire » en France. Mais dans la langue russe, ce sont des monologues, des dialogues magnifiques. C’est du théâtre. Ici « littéraire » c’est ce qu’on apprend aux classes « L », tu vois ? Alors que ce n’est pas du tout ça. Si tu le lis en Russe, ce texte ou les autres textes de Dostoïevski, c’est vraiment dans l’instant, c’est terrien. Ce n’est pas un texte de lecture chez soi. C’est un texte qui se dit. Et même Dostoïevski, quand il écrivait ces textes-là, il était debout autour de sa table, il tournait en racontant tout le texte. Et sa femme, elle écrivait.
Ce texte là, il l’a dit, il ne l’a jamais écrit. C’est pour ça que je ne voulais pas dire « littéraire ».

—  Donc pour toi Dostoïevski est un homme de théâtre ?

— Oui, un homme de théâtre pour moi. Beaucoup de gens le considèrent comme un auteur qui a écrit de grands romans mais je trouve ça dommage car il y a plein de ses écrits qu’on pourrait mettre au théâtre. Beaucoup plus que ce qu’on en met déjà. Mon spectacle plaît beaucoup aux profs de français car ils voient un Dostoïevski et qu’on ne voit pas de classique en Avignon. J’adorerais que ce texte soit aussi vu par des gens de 20 ans, c’est eux que j’aimerais toucher en premier. C’est pas inaccessible, Dostoïevski.
Je suis accessible.
L’école russe : « Je fais mes gammes »

—  Qu’est-ce que t’as appris pendant ta formation en Russie ?

— Ca va être long ça ! Qu’est-ce que j’ai appris en Russie ? C’est déjà une école de vie d’aller en Russie !
Bon, qu’est-ce que j’ai appris en Russie. Quand je suis arrivé en Russie après mon école française, où j’avais fait seulement un an, on m’a dit « qui t’a déformé ? ».
Et j’ai aussi appris ce qu’était l’acteur-roi français. J’avais fait déjà pas mal de théâtre en France mais quand même, je ne savais rien faire de concret. Je ne suis pas un ébéniste qui sait faire des meubles, enfin bref. Je suis arrivé dans l’école française on m’a fait « ah super, t’es un super grand acteur toi, t’es beau, t’as une voix ! ». Ok. Mais je n’avais jamais rien fait de ma vie.
J’arrive en Russie. On me dit « t’es qui toi ? T’es rien. Vas-y travaille, travaille, travaille ». On m’a dit « l’acteur-roi, c’est super, mais nous en Russie c’est la troupe-reine. Sans les autres tu ne feras rien ».
Après on m’a dit « un acteur, c’est comme un soldat, si tu travailles 10 ans, tu seras peut-être un bon soldat et encore c’est pas sûr. Peut-être qu’au bout de 10 ans tu seras un artiste et encore, on verra. ».
Donc t’apprends l’humilité et l’écoute ce qui n’est pas facile pour des français ! (rire). Et tu apprends à travailler sept jours sur sept, sans jour férié, sans te plaindre.

—  Qu’est-ce qui t’a manqué en France que tu as trouvé dans les formations russes ?

— Je trouve qu’ils ne les forment pas à avoir une autodiscipline après. Je suis ravi d’être parti en Russie, parce que tous les matins en France, je faisais mes gammes. Tu travailles ta voix, ton chant, ton corps, tu fais deux heures de sport par jour. Quand tu es un acteur tu es sensé tout savoir faire.
Et le plus beau compliment qu’on m’ait fait sur ce spectacle c’est : « ton corps on voit qu’il est bien tenu ». Ca m’a fait du bien, je me suis dit « ça ne sert pas à rien ».
Ça ne sert pas à rien.

—  Comment s ‘appelle l’homme qui t’a formé en Russie ?

— Kouznetsov. Anton.

— C’est quoi tes prochains projets ?

— En fait j’aimerais avoir un binôme metteur en scène en qui j’ai entièrement confiance Donc en gros ce serait Anton (Kouznetsov), le seul qui pourrait me mettre en scène sur mes projets à moi. C’est le seul vrai bon directeur d’acteur que je connaisse.
Des metteurs en scène, t’en as plein mais des directeurs d’acteur t’en as quatre dans le monde.

—  Tu penses retourner travailler en Russie ?

— Oui j’espère. Mais pour travailler ça va être difficile. La situation devient pire qu’ici. Avant le théâtre était étatique et aujourd’hui il est privé. Donc ils préfèrent mettre Britney Spears que Les trois sœurs !



Ivan Karamazov, d’après un texte de Dostoïevski

— Adaptation, jeu et mise en scène : Pierre Bourel

— Traduction : André Markovitch

— Création lumière : Robert Mlakar

— Production : ADREM (Didier Leclercq et Hugues Deniset)
Jusqu’au 31 juillet au Collège d’Annecy en Avignon.