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Rodrigo Garcia, cow-boy en quête d’inspiration – L'!NSENSÉ
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Rodrigo Garcia, cow-boy en quête d’inspiration


De son dernier spectacle, mort et réincarné en cow-boy, au festival Mettre en scène à l’initiative du Théâtre National de Bretagne 2009, si l’on osait un titre à la « Libé », nous opterions pour « Garcia, chute de cheval ». Accident dont on souhaiterait qu’il se relevât prochainement. Libération ne se fera donc pas l’écho de cette dernière création car c’est sans doute la production du metteur en scène hispano-argentin la moins concluante. On connaît l’attachement de René Solis, la plume théâtrale de Libération qui n’a jamais manqué de commenter le moindre geste esthétique de cet artiste controversé suivi et défendu depuis ses débuts en France. A ce titre, cette forme de fidélité, entre un artiste et un critique, sur la durée est honorable, à condition d’en faire une fidélité critique de tous les instants, y compris et surtout dans les moments de doute. Nous sommes dedans, tant le spectacle présenté par Garcia à Rennes est décevant.
Contrairement au bon sens, la déception n’est pas la chose du monde la mieux partagée. À tort la plupart du temps quand celle-ci devient l’objet même de la contestation esthétique. Ce qui colle parfaitement aux revendications d’un théâtre à la Rodrigo Garcia défendant l’idée d’un langage personnel loin des codes traditionnels du théâtre. C’est également le cas de certains mouvements de l’art contemporain qui travaillent à développer la fonction déceptive de l’art. La vidéaste Valérie Mrejen ou encore le chorégraphe Michel Schweizer ont su parfaitement, non sans risque, tenter de produire des œuvres intentionnellement décevantes quant à leur capacité à combler les attentes du public. À ce titre, Rodrigo Garcia pourrait compter parmi ces activistes de la scène, mais au fil des ans, le caractère complaisant de ces productions tend à démontrer l’inverse.
François Le Pillouër, Directeur emblématique d’une machine théâtrale à dimension européenne, disait récemment de Rodrigo Garcia que « sa parole, assez libre, reste celle d’un anarchiste ». Et à propos de son dernier spectacle « qu’il se veut plus intime, plus introspectif ». On peut là aussi souligner la ténacité et la fidélité d’un professionnel de la diffusion à l’égard d’un artiste, dans une époque où devenus produits de consommation, les artistes-kleenex ne peuvent plus exercer dans la durée quand on sait que le temps, dans ce domaine comme pour toute recherche, est ce qu’il y a de plus précieux. Mais là encore, quand la fidélité devient confiance aveugle la chose est discutable. Rodrigo Garcia n’a rien d’un anarchiste, ni ne développe une quelconque pensée politique cohérente. Après tout, ce n’est pas tout à fait ce qu’on lui demande, mais le Garcia le plus engagé l’est davantage dans l’esthétique et les formes qu’il développe que dans les discours pseudos contestataires et relativement moralistes qu’il déverse. Le Garcia qui creuse une forme est plus subversif que le Garcia bavard, le plasticien plus radical que l’auteur, le scénographe plus impertinent que le metteur en scène. Or, les récentes créations de Rodrigo Garcia paraissent interchangeables, calibrées dans un même format usant des mêmes ingrédients le tout avec des accents faussement sardoniques et vaguement politiques.
Aussi, s’il convient d’accepter, et c’est sans doute un devoir, que le parcours d’un artiste n’est pas linéaire, qu’il peut être fait de coups de poing tonitruants, de gestes profonds, il est louable de reconnaître aussi parfois des formes plus faibles, moins convaincantes. Ce droit à l’échec est une vertu, et même une condition de l’exercice de la liberté en matière d’art. Venons-en au dernier spectacle en question. Remake trash d’un Brokeback Moutain punk, les deux performers Juan Navarro et son complice de toujours Juan Loriente proposent une généalogie du rire tel qu’annoncée dans la petite bible distribuée à l’entrée de la salle Gabily.
Le Bon, la brute et le truand.
La brute.
Espace scénique minimaliste, deux guitares électriques, une paire de bottes de cow-boy, quelques accessoires, deux triangles de signalisation et un taureau rodéo mécanique grandeur nature. Comme à l’accoutumée, les acteurs attendent sur le plateau que les spectateurs s’installent, avant de se lancer, caleçon sur les cuisses dans un concert dissonant plein de saturation maltraitant deux guitares qui subissent les assauts acharnés des deux acteurs. Ce flot brutal est agrémenté de passages chorégraphiques cocasses où les deux Juan jouent de la pointe et autre tentative de danseuse étoile. C’est drôle et cela resitue d’emblée l’endroit où l’on se trouve, un espace de recherche qui n’a pas vocation à produire du beau conforme. Puis très vite, l’engagement corporel viril et dénudé reprend le dessus, les acteurs se frottent, enfilent le même tee-shirt –une camisole – et le même slip, tantôt avec douceur, tantôt avec violence, avant de se saisir de nouveau des guitares pour matérialiser cette descente aux enfers. Face à ce déferlement de violence gratuite, cette provocation stérile dans un dispositif maintes fois vu et revu sans aucun éclairage particulier ni au service d’aucun propos cohérent, on peine pour les interprètes qui tournent en rond à l’image du taureau rodéo mécanique, dans un mouvement circulaire heurté et désorienté auquel ils tentent en vain de s’accrocher. L’éclatement de la forme ici ne fait pas sens et l’aspect sensitif ou sensible pour dire autrement est dénué d’intérêt.
A jardin, se dresse un mur en contreplaqué recouvrant un tunnel au bout duquel les deux acteurs se rejoignent régulièrement pour y trouver une forme de lumière, avec une geisha d’abord, qu’ils fêtent sur des airs de country avant de se livrer à divers rites funèbres, avec ou sans fumée, avec ou sans animaux. Les passages les plus convaincants étant sans doute ceux où Juan Navarro se retrouve la langue ligotée, scène inspirée du fantasme de la femme nue attachée qui donne lieu à une séance de sado-masochisme verbal, avec une logorrhée inaudible qui n’en finit pas de ressasser – passage redoutable d’efficacité ; la fin encore, où un croissant réaliste mue en être humain en sommeil, succombe à une overdose. Une image d’une simplicité qui vous désarçonne et frappe juste. Cela vaut tous les bavardages, le vacarme et les vaines agitations tape-à-l’œil précédents.
Le bon.
Le texte, car il y a du texte chez Garcia, il y a souvent eu du texte. Garcia est un auteur, le sens de la formule allié à un regard acerbe sur la société de consommation qui cultive un sens du décalage contribuant à bousculer le lecteur, l’interroger et le pousser dans ses retranchements. La plume de Garcia est d’autant plus fine quand elle se tourne vers lui-même, vers ses pérégrinations telles qu’exposées dans son stimulant Borgès. Les questions intimes sont soulevées par Garcia de façon crue mais avec une tendresse déconcertante. Ainsi, la mue des deux performers en cow-boy devisant du monde autour d’une bière commence avec force. Avec une certaine lucidité, Juan y Juan exposent les errements des couples écornant l’éloge de l’amour dont on ne cesse de nous rabattre les oreilles ces temps-ci. L’idéal du couple chez Garcia n’est qu’un rapport corporel, charnel, le reste n’étant qu’obstacle pour empêcher de baiser. « Si tu es séparé de ta moitié pendant plus de vingt jours, et que cette dernière ne fait pas l’effort de venir te chercher à l’aéroport ou à la gare, c’est que ton histoire d’amour est finie depuis deux ans »… Si au moment de ces mêmes retrouvailles, elle vient te chercher mais que vous allez au restaurant ou au ciné avant de baiser, alors cela fait un an que c’est terminé, et ainsi de suite jusqu’à la version la plus optimiste où, à peine descendu de l’avion, vous baisez dans les chiottes de l’aéroport, alors là il reste pour votre couple tout au plus un an ou un an et un mois d’avenir. La démonstration est imparable et drôle. Hélas s’ensuit un jeu alphabétique pénible dénonçant les difficultés de vivre avec les autres. Ce n’est alors pas déceptif, juste décevant. Les deux cow-boys ont de l’allure mais l’ensemble fait pschitt.
Le truand.
On ne versera pas ici dans la vaine polémique. A la question Garcia est-il un imposteur, répond-on tout net : non ! Garcia est un artiste, fragile, qui tente de développer un langage singulier mais qui semble pris au piège de sa propre machine. L’homme semble essoufflé, et c’est dans ces moments difficiles qu’il conviendrait de prendre soin de l’artiste. Encore faut-il que lui-même veuille continuer son parcours avant de perdre pied. On a connu des artistes maudits, mais ce n’est pas le cas de Garcia qui bénéficie de soutiens institutionnels repérés. Les paradis artificiels, s’ils peuvent être des refuges nécessaires pour certains poètes afin de supporter le quotidien, sont rarement des moteurs puissants et féconds pour la création, en tout cas dans la durée. Quand le processus de création devient discutable, c’est qu’il est peut-être temps de se remettre au travail avec humilité ou de prendre l’air, le temps d’une respiration.