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Salves par la Compagnie Maguy Marin au 104 – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Salves par la Compagnie Maguy Marin au 104

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Depuis l’inauguration médiatique de 2008, le 104 a connu une existence bien chaotique : un lieu trop coûteux, une gestion fortement contestée et un public qui ne vient pas. En novembre 2009, R. Cantarella et F. Fisbach annoncent leur départ et le lieu reste sans directeur jusqu’en juin 2010. Depuis la rentrée de septembre, la nouvelle direction, menée par Jose Manuel Gonçalves -ancien directeur de la Ferme du Buisson- tente de mettre un terme à cette période de tourments. La nouvelle politique propose notamment un programme commun avec le Théâtre de la Ville, Prolongations, qui permet d’accueillir dans le 19ème arrondissement ce qui sur les bords de la Seine a rencontré un succès remarquable. Cela a permis au public qui n’avait pas pu voir Salves dans la cadre du Festival d’Automne de profiter de trois représentations supplémentaires les 9,10 et 11 février 2011.


Ce 11 février, c’est la dernière : chaque marche, chaque mètre carré de la salle est occupé par les spectateurs venus voir la création de la compagnie Maguy Marin – qui s’apprête à quitter le CCN de Rillieux-la-Pape. Chorégraphe reconnue depuis son ballet May B. en 1981, Maguy Marin tient une place atypique dans le champ de la danse française : ses créations, comme Description d’un combat au festival d’Avignon 2009, provoquent le débat et mettent en péril toute certitude concernant la danse et le spectacle vivant. Au sein de l’œuvre de Maguy Marin, Salves semble s’apparenter à la recherche menée lors des créations de Umwelt (2004) et Turba (2007).
A propos de Salves, Maguy Marin, évoquant Hannah Arendt, parle de la présence de l’homme qui ouvre une brèche dans « le continuum du temps entre passé et futur faisant ainsi dévier les forces antagonistes très légèrement de leur direction initiale ». Une trajectoire légèrement différente, qui rend possible l’apparition de formes nouvelles. Une déviation comme celle créée par le théâtre : liberté éphémère de s’éloigner du fil des événements et de la réalité, grâce à la présence d’une assemblée vivante et hétéroclite. Salves, comme une possibilité de dévier du cours des choses établies, de la grande Histoire, du grand drame.
Quelqu’un entre, concentré à faire glisser ses doigts en l’air, suivant le chemin d’un fil transparent. D’autres viennent, chacun suivant un chemin, celui du même fil, ou bien celui d’un autre fil ; impossible à dire. Dans Salves, il y a une multitude de chemins, insaisissables, incompréhensibles : des directions empruntées l’espace de quelques secondes, puis laissées de côté. Comme si la salle du 104 se changeait en une grande maison plongée dans l’obscurité, éclairée par le passage d’une lampe-torche : un nombre incalculable de pièces qu’on observerait depuis le seuil. Les chemins rejoignent des pistes sonores qui partent dans d’autres directions, se croisent, se superposent, on ne peut qu’en saisir des bribes, on entend la voix d’Artaud puis la rumeur d’un foule, le bruit d’un verre qui se brise puis un discours politique dans une langue étrangère. L’apparition de la lumière dirige le regard. Une partie de la scène s’éclaire, une situation s’installe à toute vitesse, mais dès que les yeux et l’esprit s’y habituent, la lumière disparaît. Et une autre scène s’éclaire. Les éléments du décor sont modulables à l’infini : ce sont des structures de bois noires démontées et remontées en toute hâte par les danseurs. Les parties assemblées forment des recoins, des tables ou des promontoires, tantôt un banc à l’avant-scène, tantôt le début d’un couloir obscur qui part sur le côté, échappant aux regards. Des scènes comme les pièces d’un jeu. On casse des assiettes, de gros vases chinois comme on en voit dans Tintin, des statues de la liberté en plâtre et de vieux postes de télévision. Ces bris donnent naissance à de nouvelles pièces qui se divisent elles-mêmes à l’infini. Impossible de constituer un drame, ou de suivre un chemin narratif. Il n’y a que des débuts, des passages ou des fins, qui se désagrègent aussitôt mis en place. Bouleversant les échelles, Salves rend visible les atomes, qui d’un instant à l’autre se séparent et se réassemblent différemment. Parmi toutes les pièces du jeu, la scène finale est la plus importante. Elle occupe tout l’espace scénique et s’étend sur plusieurs minutes. C’est encore une mise en place qui dévie. Les danseurs installent un banquet constitué de multiples plats, de gâteaux, de bouquets de fleurs, quand une assiette qui se brise casse le rythme : la scène devient le théâtre d’une démolition générale.
Malgré le rythme effréné, les danseurs performent chaque scène avec une extrême précision qui confèrent aux quelques secondes de lumière une intensité inouïe. L’adresse dont ils font preuve dans leur maîtrise du nombre incalculable d’accessoires et de costumes donne le vertige
C’est une lutte contre l’obscurité, les sons, le rythme, afin de saisir ces petits morceaux d’actions exécutés dans l’urgence qui restent habituellement en périphérie de l’attention. Maguy Marin met en relief leur étonnante théâtralité. Voici une proposition qui attire l’attention en dehors de son trajet habituel, qui l’invite à dévier des directions indiquées par la réalité. Cette poétique déborde l’espace et le temps du spectacle : plus tard, dans la rue, les passantes sembleront encore faire partie de Salves. A la fin du spectacle, les gens disent « ça fait du bien ». C’est vrai, ça fait du bien de se confronter à l’engagement artistique de Maguy Marin et de sa compagnie dans ces propositions qui dépassent les disciplines. Un travail mis « au service d’un mouvement de pensée » selon les mots de Maguy Marin. La liberté avec laquelle elle met en œuvre sa pensée artistique expose son œuvre aux controverses. Elle lui donne sa force et la distingue.