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Sense of Self/ Sauver sa peau : Le Sens des origines – L'!NSENSÉ
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Sense of Self/ Sauver sa peau : Le Sens des origines

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Mélanie Demers, artiste chorégraphe québécoise, et Laïla Diallo qui travaille actuellement au Danse South West de Bornemouth en Angleterre présentaient « sense of self/ sauver sa peau » ce jeudi 22 octobre 2009 au Centre Chorégraphique National de Caen dirigé par Ella Fatoumi et Éric Lamoureux. Le Centre Chorégraphique National de Caen, le Centre Chorégraphique National du Havre, l’ODIA Normandie, le Dance South West de Bornemouth, le National Skills Academy en Grande-Bretagne ouvrent avec cette pièce, «COAST TO COAST», projet visant à enrichir les pratiques de part et d’autre de la Manche.
Aux origines…
Il y a 4 ans environ, LaÏla Diallo est invitée au Kenya pour une résidence de vacances ou de travail, au choix. Elle propose à Mélanie Demers de l’y accompagner.
Entre temps, un théâtre québécois demande à Mélanie Demers de venir présenter une étape de travail. Elle décide de travailler avec Laïla Diallo au Kenya, une pièce à présenter dans ce cadre. C’est donc au Kenya que nait «sense of self/ sauver ça peau», dans un univers qu’elles décrivent comme très contrasté: entre le confort de leur résidence et la violence du quotidien qui est bien là, toujours présente. L’une et l’autre s’appuient également sur leur lecture des «identités meurtrières» d’Amin Maalouf pour travailler la pièce. Ainsi, la genèse de la pièce alimente elle-même le sens que les deux chorégraphes ont voulu lui donner.
Sur la plateau tenant une pile d’assiettes, se tient une femme, debout en robe de soirée rouge. Nous nous installons, sous le regard de cette femme, sous son impressionnant masque de gorille. La femme-gorille lâche les assiettes dans un grand fracas-noir- le parcours commence. Car il s’agit d’un parcours, d’étapes et de tableaux successifs, entre deux corps, deux personnalités, deux histoires, deux animalités.
L’une tente de ce hisser le long d’un mur, étendant ces membres, comme élastiques. Toutes deux ensuite, comme un seul être, rampent, roulent, jusqu’à la désarticulation. L’une se glisse sous une peau de bête, l’autre semble se glisser dans la peau de l’autre dans des mouvements fusionnels. On ne sait plus très bien distinguer ces deux êtres qui se fondent. On ne sait plus vraiment s’il s’agit de figures humaines. L’animalité est présente dans ces corps… On peut voir un lézard, le moment suivant comme un insecte formé de deux têtes,deux corps. Les danseuses, aux personnalités marquées, l’une décharnée, androgyne et anguleuse, l’autre ronde et souple, interprètent leur personnage avec précision. Dans les moments dansés à deux, elles sont comme par accident , de manière sporadique, synchrones, c’est à dire «pareilles»
Laïla Diallo déroule une longue silhouette de papier et l’applique soigneusement le long du cops de Mélanie Demers. C’est comme une seconde peau blanche qui lui est donnée, sur laquelle Laïla Diallo vient poser un pansement. Mélanie Demers finit par se libérer de cette peau de papier en l’arrachant. Mélanie Demers déroule à son tour. Cette fois lentement, des mots tout à tour sur chacune des pages d’un carnet tourné vers les spectateurs.Cette lente boucle perpétuelle nous donne à voir une succession de mots qualifiant des états successifs: en paix, en amour, en danger, en larmes….. Une bande son déroule elle aussi à l’infini, en français et en anglais, des vérités telles des injonctions: tu es comme ton père, comme ton frère..tu es belle, tu es triste… Dans cette difficulté à être, Laïla Diallo et Melanie Demers interrogent sur ce qui nous définit au fond. Les mots ne réussissent pas à dire précisément notre identité. Ils semblent ici plutôt la fixer, la figer. En mouvement, elles tentent de s’en extraire, refusent la stigmatisation. Car l’identité est comme le peau, en perpétuelle renouvellement. Elle n’est jamais complètement fixé ou définitive. Elle se nourrit des origines certes mais également de nos rapports à l’autre, des accidents…
Au sol, sur le plateau, deux paires de chaussures à talons haut. Dans ces chaussures, elles n’arrivent pas ou peu à tenir debout. Melanie Demers est couchée, comme fixée au sol par ces chaussures. Elle ne parviendra jamais à se relever avec les chaussures à ses pieds. Et lorsque Laïla Diallo sera debout, juchée sur les talons haut, Mélanie Demers n’aura de cesse de la déséquilibrer. La robe de soirée rouge reparaît sur Mélanie Demers. Elle l’enfile péniblement par dessus ses vêtements. À nouveau, elle nous donne l’impression de porter une seconde peau. Les attributs féminins suffisent t’ils à définir une identité de femme?
Il parait a priori difficile d’être novateur et attrayant si l’on veut s’exprimer sur les questions d’identité, de différences ou de condition féminine tant ces thématiques ont été examinées. Or, la manière de les aborder ici est efficace car tout fait sens. Les dispositifs de lumières sont variés et multiples offrant la possibilité de regarder sous des angles nombreux et tous différents: C’est l’éclairage vacillant d’une lampe de camping qui donne à Laïla Diallo des mouvements découpés et durs comme sous un stromboscope. C’est la pénombre parfois, ou la lumière rasante de néons posés au sol.
Le plateau est couvert de carton de différents formats contenants ce qui semblent être des ballons de baudruche noirs. Nous ne voyons très bien que le contenant, et assez peu le contenu. Ce qui fait sens également car cela illustre la réflexion autour de la question du corps et de sa peau comme unique contenant. (la peau en papier, la peau que semble nous faire les mots en voulant nous « contenir » en nous enfermant dans une définition de nous même, la robe seconde peau… qui y a t il à l’intérieur de ces contenants là?) Le travail du son est soigné: On passe d’ambiances industrielle, de rue, à la musique de Chopin. Là encore ambiance mouvante, changeante mais harmonieuse.
La pièce se termine par une fête étrange et triste. Un feu d’artifice sonore éclate. Les ballons noirs s’envolent en silence, lentement libérés par un être mi femme, affirmé sur des talons hauts rouges, mi gorille. La veste d’homme vient brouiller encore davantage l’identité de cet être. Cet être est comme une synthèse de ce que Laïla Diallo semble être. Elle devient à son tour le contenu d’une peau artificielle représentée par un carton dont elle ne parviendra pas à sortir. L’autre, Mélanie Demers, nous tourne le dos, un chapeau de clown sur la tête. Les ballons, le feu d’artifice et ce chapeau donnent une dimension de fête à la pièce: nous pouvons être semblables, égaux, nous enrichir mutuellement, parvenir à une harmonie dans la différence. Mais l’ensemble ne sort pas de la tristesse voire de la douleur, car l’autre est là, cherchant vainement à s’extraire du carton dans lequel elle s’est mise.
L’identité est forcément complexe: elle est une somme d’appartenances et d’expériences, faisant de chacun de nous un être unique et irremplaçable. Nous ne sommes semblables que par accident. C’est ce que «Sense of self, sauver sa peau», succession fluide de tableaux visuels et sonores à la fois poétique, troublant, drôle, parfois violent exprime efficacement.
L’équipe du Centre Chorégraphique National de Caen ouvre intelligemment ce programme «coast to coast». «Sense of self / sauver sa peau» interroge sur l’identité et ce qui la fonde. Cette pièce nourrit la réflexion sur ce qui fait la différence entre les personnalités, mais aussi sur ce que nous pouvons avoir de commun. Ainsi cette pièce illustre parfaitement l’ambition de ce projet qui vise l’échange et l’enrichissement mutuels des identités culturelles entre les artistes français et britanniques.