Silenda : chantier chorégraphique en cours
En matière de danse contemporaine, le paysage Bas-Normand est caractérisé par une certaine atrophie. Sans vouloir dresser un tableau clinique alarmant de l’état de la danse en région, relevons que trop peu d’équipes artistiques développent une recherche chorégraphique qui dépassera les frontières de la Normandie. Il est vrai que pour avoir du grain chorégraphique à moudre, il fait bon se rendre au Théâtre de Caen ou au CRAC de Cherbourg où l’on peut voir évoluer entre autres Kitsou Dubois et François Verret (artiste associé 2009-2010). Derrière la locomotive que constitue le Centre Chorégraphique dirigé par les Fattoumi/Lamoureux, seuls quelques wagons isolés parviennent avec plus ou moins de réussite à émerger progressivement. La compagnie Itra- Sophie Lamarche-Damour, la Venturacompagnie – Anna Ventura et Silenda. Cette dernière équipe proposait à l’hippocampe (Caen) une étape de travail de leur prochaine création intitulée l’ombra del bello – « still life and songs ».
Ça se passe à l’Hippocampe, un lieu équipé de façon remarquable. Le plateau est un lieu de travail idéal pour la danse, quant au gradinage, on a le plaisir de s’installer dans d’anciens fauteuils rouges de cinéma. C’est assez agréable si ce n’est qu’il faut se munir de son anorak et de ses moufles pour assister aux représentations car la température chute brutalement le temps de la représentation… C’est anecdotique. Ce qui l’est moins, c’est la programmation du lieu qui, sans faire d’offense à ses hôtes – la compagnie Aller-Retour- fait office d’auberge espagnole. Certains parleraient d’éclectisme là où il semble qu’il convient plutôt d’une absence de projet de lieu en tant que tel et d’une ligne nette dans la programmation. On trouve ainsi d’un peu de tout, c’est convivial, chacun peut venir avec un mets, mais le résultat est souvent aléatoire.
Venons-en à la proposition de Silenda. Ce chantier conçu par Laura Simi, interprété par elle-même et Philippe Rouaire, éclairé par Damiano Foa (co-fondateur de la compagnie) est un diptyque composé d’une proposition scénique et d’un film. La première partie se veut l’exploration intime des relations au sein d’un couple à partir des chansons du musicien italien Fabio Viscogliosi.
Ces variations de la vie à deux sur fond d’états contradictoires, si elles présentent ça et là quelques fulgurances, finissent malheureusement par s’épuiser, étirant un propos parfois bavard au détriment d’une économie de mouvement nécessaire. L’ouverture de la proposition est d’une grande force, les deux corps nus peints à la manière des indiens de la Terre de feu se fondent et se meuvent dans un éclairage très fin. Le travail autour du mobilier quotidien, une table et deux chaises ouvre des possibles tant sur le plan de la grammaire corporelle que dans le rapport signifié-signifiant.
Par la suite, la pièce regorge de micro-événements qui jalonnent le parcours d’attraction-répulsion des deux corps dissonants. Le caractère anecdotique de ces situations ne parvient cependant pas toujours à dépasser l’anecdote elle-même pour trouver un écho dans ce qui pourrait traduire si ce n’est un élan universel, disons une préoccupation moins ancrée dans la banalité, car le sens est alors parfois trop fixé et se ferme ainsi à chaque imaginaire, fuyant, fragile on ne peut plus. L’usage cocasse par exemple d’hélicoptères miniatures apparaît davantage comme un « truc », que comme une ligne de force qui mériterait d’être développée et creusée à la défaveur de l’accumulation d’effets. La musique (de crooner italien) quant à elle vient trop souvent appuyer ce qui est perceptible et empêcher le jaillissement du dérapage. Sans doute faudrait-il avoir à l’esprit ce mot de Wajdi Mouawad : « je suis plus interpellé par ce que je devine que par ce que je comprends ».
Les (habiles) danseurs évoluent plus avec force que finesse, notamment quand ils tentent des percées dans le champ de la parole ou dans un registre burlesque qui pêche parce que trop surligné. Que reste-t-il alors ? Philippe Rouaire, nu et fragile, ou plutôt fragile quand il est nu, le prologue et l’épilogue, pour le reste il convient de resserer, épurer davantage afin d’atteindre l’ambition affichée par l’équipe artistique dans la bible distribuée à l’entrée : « parler de l’autre avec sa danse ». A suivre donc, ce n’était là qu’une étape de travail avancée, mais la qualité des esquisses présentées laissent présager d’une création 2009 solide…
Le film… J’allais oublier le film et pour cause, il n’a que peu de lien avec la proposition de plateau et se suffit presque à lui-même. Il s’agit des pérégrinations de deux excellents interprètes, Damiano Foa et Olivier Dubois (le chérubin préféré de Jan Fabre) qui se livrent à des joutes gargantuesques non dénuées d’intérêt. La table et les deux chaises sont encore là, déposées sur le sable et c’est sur cette même plage qu’elles finiront devant l’immensité des éléments. Si le texte est parfois pompeux et l’habillage sonore un peu trop marqué, ces cinquantes minutes offrent des plans élégamment filmés, un rythme assez juste entre contemplation et corps à corps délirant dans une étroite complicité, pour un ensemble de très bonne facture. Ne reste plus qu’à décider de l’avenir de cette réalisation dont l’articulation (nécessaire?) avec le spectacle n’est pas encore convaincante.