Tandem : auteur / metteur en scène
Le festival d’Avignon, c’est bien entendu les spectacles qui fourmillent, qui se multiplient, qui s’affichent. Mais ce sont aussi les rencontres et débats autour du théâtre et des arts de la scène. Cet art là qui se questionne sans cesse sur ce qu’il est, ce qu’il devrait être, ce qu’il devient. Évidemment les metteurs en scènes, les chorégraphes tentent à travers leurs esthétiques, leurs exigences, leurs propositions de donner les directions vers lesquelles ils emmènent leur art. Mais c’est un art au présent, qui a besoin pour circuler de paroles, de dialogues, de définitions. Ces rencontres, ces débats sont un lieu où se manifeste cette nécessité de mots, ce besoin de parler, de dire même pour rien mais avec la volonté en tout cas de dialoguer et surtout il s’agit de faire histoire, pour donner une existence au-delà de la scène. Ça existe puisqu’on en parle, et ces paroles sont nécessaires pour défendre les arts vivants et leur éphémère réalité. C’est en parlant, que La classe morte de Kantor, le Café Müller de Pina Bausch, La Mère de Brecht continuent à exister et à être des références ou des « modèles ». Ce quinze juillet après midi, où la chaleur écrasait ceux qui se risquaient dehors, la fraîcheur du conservatoire était là pour accueillir un débat public. Ce débat avait pour titre : Le metteur en scène et l’auteur : un tandem à l’épreuve du temps ? et pour sous titre comment une œuvre se construit-elle à deux : des rencontres dans quelles circonstances ? quelles méthodes de travail ?
Pour animer ce débat la journaliste Maïa Bouteiller. Dans un premier temps, un tour de table est fait pour que chacun des invités se présente : il y a autour de la table Ronan Chéneau, auteur et David Bobée, metteur en scène, Ludovic Lagarde, metteur en scène pour son expérience avec Olivier Cadiot, Dieudonné Niangouna et Jean-Paul Delore tous deux auteurs, metteurs en scène et acteurs travaillant parfois ensemble.
C’est Ronan Chéneau et David Bobée qui s’engagent à répondre en vrac aux interrogations de ce débat public. Ils racontent leur rencontre à la fac de Caen, l’un en philosophie et l’autre en arts du spectacle. Ronan explique qu’il s’interrogeait sur une déstructuration de l’écriture. Et en même temps qu’il était déjà dans une nécessité de prendre en compte le réel pour créer. C’est pour lui, deux axes, la déstructuration et le réel, qui forme : « une écriture du présent. » David raconte ensuite leur premier « flirt » comme il dit : « Entête », qui sera présenté à l’époque en lecture et projection photo. De cette première collaboration naîtront sept autres créations. À partir de là, ils décrivent leur façon de procéder et quels axes ils ont privilégié. Leur souci est, comme ils disent « l’étude de notre génération, son implication sociale et politique » et les créations ont toujours débuté par des discussions, des débats justement pour cerner un sujet, un thème. Ensuite, Ronan écrit et David travaille à la scénographie. Aux premiers jours des répétitions, les textes de Ronan, les propositions des acteurs, de David, du créateur lumière, du vidéaste, du musicien permettent la réécriture de certains textes, l’écriture de nouveaux textes et surtout la construction d’un axe dramaturgique, d’une direction claire. Ils expliquent : « au début, les textes sont en vrac, les acteurs s’en emparent, Ronan réécrit, ils discutent, il écrit, les acteurs font une improvisation, il écrit, les acteurs transforment… ». L’écriture suit au même titre que la lumière, la musique et la vidéo le processus de création. Cela parce que David Bobée conçoit les différents composants d’un spectacle de la même manière. On peut alors se poser la question du choix d’un thème qui met au centre l’écriture et la mise en scène en invitant une compagnie qui refuse cette hiérarchie ? En ce qui concerne la publication du texte, Ronan met en ordre les textes pour en faire une dramaturgie claire, en fonction du spectacle créé mais pas seulement. Certains textes sont ajoutés ou paraissent dans leur écriture initiale.
Ensuite, c’est Dieudonné Niangouna et Jean-Paul Delore qui se présentent et tentent de définir leur façon de travailler, ensemble et séparément. Ils se croisent une première fois en 1996, à Brazzaville, mais c’est en 2001 qu’ils se rencontrent et décident de travailler ensemble. C’est leur « intérêt commun pour la découverte des poètes et de poèmes » qui les conduisent à faire ensemble du théâtre. On sent dans leur prise de parole, qu’il n’y a pas de cadre, de règle pour leur collaboration. C’est une envie, une idée qui engage le spectacle. C’est aussi parce qu’ils travaillent beaucoup à l’étranger que l’endroit et les gens avec qui ils font, induisent quelque chose du projet. Dieudonné explique que l’écriture n’arrive pas toujours au début mais que c’est sur le plateau, le concret du travail que le spectacle commence à s’articuler. Il dit : « ça invente à un endroit (l’acteur par exemple) et du coup ça invente à un autre endroit (l’écriture) et ça invente encore (la musique) et ça transforme la première invention ». Et au final, une proposition ou un spectacle n’est possible que par toutes ces inventions et transformations successives. Pour ce qui est de son rapport à son écriture et à la mise en scène de ses propres textes, Dieudonné Niangouna est très clair et fait une différence importante. Il raconte que quand il fait une mise en scène d’un de ses textes, il cherche à retranscrire au plateau l’énergie, la nécessité qui est dans son écriture. Cela implique pour lui des transformations, des différences, des aménagements. Il ne conçoit pas que son texte publié soit identique au texte dit pendant le spectacle. D’une certaine manière, il cherche que son texte qui parait soit à l’image de son texte dit sur scène, mais que cette image comme tout reflet soit différent, transformé. Il affirme que l’écriture et la mise en scène : « c’est une autre histoire ».
Puis c’est Ludovic Lagarde qui décrit sa collaboration avec Olivier Cadiot. C’est encore une autre histoire, un autre rapport metteur en scène / auteur qui se définit. Olivier Cadiot n’écrit pas pour le théâtre, il écrit. Et c’est d’abord une commande : « Sœurs et frères » que Ludovic passe en 1993 à Olivier Cadiot après une rencontre dans un bar. Ensuite ce sont des adaptations des livres comme « Le Colonel des zouaves », « Retour définitif et durable de l’être aimé » ou encore « Fairy Queen » que Ludovic a mis en scène. Il exprime que c’est une œuvre littéraire qu’il met en scène, qu’il retranscrit sur le plateau. Olivier Cadiot dit de Ludovic Lagarde : « Je continue à essayer d’écrire des livres dédiés à l’oral qu’il adapte, transforme, prolonge et ampute ». Il raconte que c’est aussi une rencontre à trois, l’écriture d’Olivier Cadiot, le comédien Laurent Poitrenaux et son implication qui a permis que cette collaboration dure. « Olivier Cadiot : Le théâtre peut être la phase bienheureuse, épiphanique du travail d’écriture. Ça marche par trois bandes au billard, mais ça n’empêche pas de faire des choses très classiques, comme de dédier un texte à un acteur, de le tailler sur mesure pour lui. C’est le cas avec Laurent Poitrenaux, avec qui Ludovic travaille mes textes comme un exégète. » Ludovic Lagarde explique qu’il a besoin de découper le texte. C’est même physiquement qu’un jour, il a pris des ciseaux pour découper à même le livre en préalable du travail de plateau. Ludovic exprime aussi que cette relation, cette collaboration n’est pas dans un rapport de faire ensemble. C’est plutôt créer à côté, parce que les problématiques de mise en scène n’ont rien à voir avec celles de l’écriture. Il lui semble très important d’avoir cela à l’esprit quand il choisit de donner à entendre l’écriture d’Olivier Cadiot.
De cette rencontre, nous retiendrons ces histoires singulières dues aux circonstances des rencontres autant qu’à ceux qui se racontent. Et comme dans toute histoire, dans tout souvenir, il y a une tentation de romancer, de rendre compte et d’être compris. Nous aurons à la fin de cette après-midi à l’esprit que le théâtre est avant tout affaire de rencontre et de dialogue.