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Y aller voir de plus près ou passer à côté – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Y aller voir de plus près ou passer à côté

Maguy Marin a créé Y aller voir de plus près au Festival d’Avignon 2021. Le spectacle est repris par le Festival d’Automne et se jouera encore le 14 et 15 décembre aux Points Communs. Voir de plus près pour tenter de se frayer un chemin.


Nous nous retrouvons devant une bric-à-brac d’objets. Des tiges comme des mâts de bateaux sont là parmi des écrans, un tas de javelots, des radios… Quatre personnages entrent avec masque et costume excentrique et regardent avec leur étrangeté et leur silence le public. Les quatre interprètes enlèvent les masques, rangent leurs costumes antiques et s’assoient en ligne devant des pupitres. Ils deviennent ainsi des opérateurs et commencent à débiter des extraits de La guerre du Péloponnèse de Thucydide, considéré comme le premier texte historique de l’Histoire. Des images sont projetés à cours, puis d’autres images à jardin. Plus tard, les hommes de pouvoir, des économistes responsables de ce monde-ci. Tout emprunte aux outils d’un théâtre documentaire, mais déjoue l’enjeu documentaire par des embranchements infinis.

La multiplicité des signes, la démultiplication des informations, la vitesse d’énonciation rend proprement impossible une compréhension de « La guerre ». Nous comprenons en revanche bien vite qu’il ne s’agit pas ici de tenter de suivre un discours, de comprendre rationnellement quelque chose, mais de frayer notre propre chemin à l’intérieur d’un jungle de mots, d’images et d’actes. Le dispositif de Maguy Marin performe ainsi une liberté de notre regard. Ce regard ne produit aucun savoir, mais nous laisse devant l’impuissance de notre petite personne face à l’histoire de l’humanité et ses guerres. Nous promenons notre attention d’un image à des bouts de discours et petit à petit ce dispositif scénique devant nous devient une terrifiante machine à broyer. Le titre de la pièce devient ainsi l’effet que ce dispositif produit sur le spectateur. Y aller voir de plus près est l’unique possibilité de ne pas être broyé, Y aller voire de plus près en dépit d’une compréhension globale quelconque.Les interprètes y agissent sans nécessité identifiable. Parfois ils jettent de la faux neige quand on dit « hiver », les nombres du matériel de guerre, listé scrupuleusement par Thucydide, 5 navires, 20 navires, tant d’argent, tant d’hommes, sont posés par des petits pancartes sur nos mâts, dessinant des lignes de front sur le plateau. Et on se dit : toute cette guerre n’est qu’une question du nombre…

Pendant que la machine avance et que les Crocyréens et les Corinthiens tiennent leurs discours (une voix enregistrée), une des opérant.e.s de Y aller voir de plus près, posent sur une table lointaine dont l’image est projeté sur un écran au dessus et qui est une carte géographique, des cartes de jeu, de dos, tel un tirage de Tarot. Elle retourne alors petit à petit les cartes et apparaissent à fur et à mesure des lettres, formant : Le fascisme n’est pas le contraire. Elle dépose de nouvelles cartes et les retourne à nouveau pendant que les discours et les images continuent à tourner sans cesse. Nos yeux y reviennent et en retournant une carte après l’autre dans un ordre qu’elle seule doit connaître, nous lirons : de la démocratie mais son. Même jeu. De nouvelles cartes et toujours les discours des Carinthiens ou des Crocyriens, des percussions peut-être. Peut-être un passage d’une sorte de Perséphone, glissant à travers le bric-à-broc et jetant des fleurs, visage gris. À moins que ce n’était plus tard ou plus tôt. Peut-être aura fini entre temps la série des hommes de pouvoir et Emmanuel Macron montrait longuement ses dents sur un fond tâché de sang. Pendant que nous regardons ces images, écoutons ces mots, nous reformons la phrase dans notre mémoire : Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son. Nos yeux y retourne et déchiffrons une lettre après l’autre : évolution par temps de crise. Elle l’enveloppe d’un tissus comme pour l’ensevelir à jamais et dépose en lettre rouge : Brecht. La phrase nous frappe alors avec une évidence terrible et nous hantera pour le reste du spectacle. Nous regarderons alors les quatre opérateurs frapper et frapper sur une caisse en bois. De dos, on pourrait croire qu’ils plantent à répétition, en fureur, indéfiniment, des couteaux dans des corps gisants. Ils ne cesseront de frapper avant que ne sera déroulé la longue liste Wikipédia des guerres de l’humanité depuis la nuit des temps jusqu’à aujourd’hui, projeté sur l’ensemble du plateau, dédoublé de l’écran à cours. Comme pour nous dire : nous ne pourrons y échapper, il faudra frapper aussi. Cela est le destin de l’humanité.

Nous serons laissés avec la question : sur qui ?