Été 2016
Dans les rues d’Avignon, à nouveau pour cette 70ème édition, se pressent les clients du spectacle vivant appelés aussi : festivaliers ou, comme l’écrivait Duvignaud, les « estivaliers ». Et sur les murs de la cité des Papes s’organisent, comme d’habitude, les montages d’affiches en tous genres mettant en avant des façades la « Création ». Affiches du Off rampantes sur les crépis, les pierres et le moindre support ascendant assurant une visibilité topographique sont ainsi « acrochées » et déjà pendantes, déjà malmenées par le mistral. Elles voisinent ainsi avec les étendards rouges, marqués du sceau du Festival, sur les bâtiments officiels qui abritent « La » création. Aussi, le Zadig qui découvrirait la ville pour la première fois s’étonnerait peut-être de cet espace dialectisé, où d’un côté une multitude de visuels hétérogènes envahissent les rues de la ville, pendant que de l’autre Le festival s’affaire pour matérialiser ou revendiquer un signe distinctif, Un et reconnaissable. Et « peu importe » les temps qui sont à vivre : les attentats à travers le monde, les crises à répétition, un brexit ou l’avant garde des « exit », le sort des réfugiés en perdition, la tragédie nationale que serait l’élimination de la France de l’euro (exit le pays de Galles déjà), et les divers sondages d’impopularité… Avignon devient immuablement Avignon IN (Vilar), Avignon Off (Benedetto) en juillet. L’ajout du suffixe valant pour les lettres de noblesse du Théâtre qui, tous en font la réclame à des échelles diverses, incarnent ici la scène du monde, le miroir de celui-ci… le Totus mundus agit histrionem ancestral.
Et chacun en conscience, et finalement entre soi, pensera avoir contribué une nouvelle fois à l’élucidation des mécanismes qui gouvernent le dit Monde. Chacun, en toute bonne foi, aura le temps d’une représentation souligné là un disfonctionnement, là une critique, là un état incertain… Et de regarder tout cela en se disant que le théâtre, à cet endroit, figure un effet placebo. Et de donner raison à Georges Balandier quand il écrit dans Le Désordre, éloge du mouvement :
« Désarmorcer le désordre, c’est d’abord le traiter par le jeu, le soumettre à l’épreuve de la dérision et du rire, l’introduire dans une fiction narrée ou dramatisée qui produise cet effet. Les mots et l’imaginaire permettent d’évoquer les conduites génératrices de crise que l’ordre social refoule ordinairement, de substituer la transgression fictive à la transgression réelle, porteuse du plus haut risque dans un monde régi par la tradition, de mettre la ruse au service d’une liberté impossible en fait, mais dont l’invocation a une fonction cathartique »