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Juin 2018 – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
illustration édito

Juin 2018

Au lecteur qui croira que nous revenons sur l’une des créations de Lupa, nous adressons nos excuses anticipées. Il pourra en parcourant {l’Insensé} trouver sur ce spectacle.
Au lecteur qui pensera que nous revenons sur la pièce de Lupa, nous n’adresserons aucune excuse, puisque myope il n’aura pas vu ce « la » qui précède le titre qui lui ne portait pas la marque du déterminant.
Aussi, « La place des héros », titre de ce modeste éditorial, n’a que peu à voir, a priori, avec le théâtre, sauf à penser, comme Jean Duvignaud, la théâtralité du jeu social et c’est, à cet endroit, le cas.
Nous serons bref. Il y a un peu plus de 70 ans, Brecht nous entretenait du rapport que nous avons aux « héros ». Le « héros » ce « rôle type » qui hante la scène du théâtre classique, Brecht n’aura jamais cessé d’en déconstruire la forme et d’en faire la critique. Chez Galy Gay, par exemple, anonyme par nature, aux noms incertains et changeants, malléable à souhait, ne portant aucune détermination idéologique personnelle. Ailleurs, le dramaturge européen se désolait : « malheureux le pays qui a besoin de héros », c’était dans {La Vie de Galilée}.
Ailleurs encore, Catherine, figure muette et indocile de {Mère Courage}, était emblématique de ce que, non le héros, mais l’héroïsme induit : une conscience qui s’éveille. Pour les familiers de Brecht, Catherine, on s’en souvient, meurt sur un toit, tirée comme un lapin par les soldats, après qu’elle refuse d’arrêter de jouer du tambour qui alerte le village promis au massacre. Catherine la moche, la muette… mais héroïque, sans recouvrir les fards du héros. Sans doute le personnage le plus abouti chez Brecht qui cherchait un langage qui nous écarte du langage salopé par la pratique quotidienne et politique. En faisant de Catherine une muette (étranger à ce langage salopé), il tenait Catherine loin du consensus et de la pensée amputée qu’induit tout espace dialectique qui s’organise à partir et autour du langage. Et ceux qui ne parlent plus, ceux qui ont rompu avec le langage, sont ceux, sans doute, qui permettent de faire naître le mouvant ou l’Histoire.
 
Mais bref, ces derniers temps, un jeune président amateur de théâtre dans sa jeunesse – non loin du bras de son professeur qui l’a initié à la scène – distingue des héros. Un commandant de gendarmerie meurt, et c’est le dictionnaire qui se gonfle d’un synonyme. Arnaud Beltrame serait « le nom de l’héroïsme français » déclarera-t-il, alors que la maman de l’enfant, qui a pris goût à l’uniforme, refuse l’idée de « héros » et lui préfère celui d’un fils qui « a fait son devoir ». C’était il y a quelques mois, jusqu’à ce que Mamoudou Gassama sauve un minot promis à une chute mortelle. Mamoudou clandestin sans-papiers voit son destin basculé et le jeune président amateur de théâtre se fend d’une nouvelle déclaration « en reconnaissance de cet acte héroïque »… Voilà Mamoudou naturalisé français, rejoignant provisoirement le corps des sapeurs…
On aurait aimé que Mamoudou puisse lui aussi devenir « le nom de l’héroïsme français », un synonyme magnifique enrichissant la langue française de sa diversité culturelle clandestine et déclarée. Imaginez un instant avoir le choix entre deux énoncés : « Je suis un héros » ou « je suis un Mamoudou »…
Mais bref, l’ordre des énoncés parallèle à celui des événements fait que Mamoudou aura droit seulement à la « reconnaissance… ».
(Et l’on ne vous parlera pas d’Aymen Latrous, jeune tunisien sans-papiers qui, décoré par le maire de la ville de Fosses « médaille de la bravoure », a du mal à ne pas être expulsé. Le dossier est en cours de ré-examen par le préfet qui évalue le sauvetage de deux enfants en proie aux flammes comme « un acte positif et altruiste »).
Alors que dire de tout cela ou de cette suite médiatique qui n’enlève rien ni au gendarme ni au sauveur ?
Si l’art politique relève en partie de la répétition (comme le théâtre un peu aussi), on regrettera que le jeune président n’ait pas utilisé le même énoncé pour Mamoudou. Qu’il eut été pertinent chez celui qui nous réforme à marche forcée (ordonnances pour le moment, 49.3 dans quelques temps) de nous imposer cela : une réforme lexicale (why not ?) quand l’anglicisme est devenu si commun chez lui. Certains lui auraient sans doute reproché de se répéter. Mais la politique menée par le jeune président amateur de théâtre n’est-elle pas elle-même la répétition de ce que les citoyens ont déjà vécu ? En définitive, l’exception faite par le jeune président amateur de théâtre « de ne pas répéter » l’énoncé valant pour le gendarme pour Mamoudou souligne quelque chose d’incohérent… ou de plus sournois.
Mamoudou est peut-être devenu un héros dans lequel quelques-uns auront du mal à s’incarner (c’est le propre du héros d’incarner)…
A commencer par le jeune président amateur de théâtre dont le sourire et la conversation embarrassés, devant Mamoudou, dans les salons dorés du Palais, trahissaient un aveu inavouable qui tranchaient avec le discours lyrique tenu à l’occasion de l’hommage national, devant le cercueil du gendarme.
Ce que les deux scènes, {in fine}, construisent ou révèlent, c’est le peu de proximité que le jeune président amateur de théâtre entretient avec le vivant… La place du héros qu’occupait Mamoudou le montrait sans équivoque.